Si mettre du piment dans son assiette est un moyen métaphorique simple d’en mettre dans sa vie, admettons que sa forme maraichère soit pour le moins aussi réjouissante que son épanouissement dans les sillons d’un champ sémantique.
Comme beaucoup d’avancées vers ce qu’il est convenu d’appeler la civilisation, les premières traces de son incursion dans l’alimentation humaine remontent aux civilisations d’Amérique centrale et du sud, à quelque 7000 ans d’ici, qui le cultivaient pour ses propriétés alimentaires et aromatiques. Il faudra encore attendre que les caravelles d’un dénommé Colomb lui fassent traverser l’Atlantique pour que l’Europe et le reste du monde connu découvrent ses mérites et lui accordent par acclamation son visa d’expansion.
Pensez donc, quand on appartient à la vaste et prestigieuse famille des Solanacées, comme ses accortes cousines tomates, pommes de terre et aubergines ou plus sulfureuses telles le tabac, la mandragore et la belladone, le piment disposait ainsi de puissants appuis qui expliquent les formalités de naturalisation simplifiées dont il fut l’heureux bénéficiaire, jusque dans l’Empire du Soleil Levant plutôt enclin habituellement à plisser les yeux face à la nouveauté.
Désormais répandu sur les cinq continents, on compte cinq espèces distinctes désignées par le terme générique de Capsicum et de très nombreuses variétés qui couvrent toute la gamme du neutre à l’explosif, en passant par chaud, torride ou encore volcanique.
Leur saveur plus ou moins piquante est due à la présence d’un alcaloïde, la capsaïcine, dont la teneur va déterminer la force. Dans leur environnement sauvage, il s’agit d’une défense contre les prédateurs naturels, insectes et champignons, et il est intéressant d’observer que plus ils sont nombreux et actifs, plus la teneur en capsaïcine est élevée. Comme pour d’autres offrandes de la nature, le terroir a donc également son importance, comme en témoigne l’AOC jalousement apposée sur le piment d’Espelette au Pays Basque.
De même que le génie humain a conçu un intérêt à établir des échelles normées pour tous les types de bouleversements géologiques, les piments bénéficient suite aux travaux d’un pharmacologue du nom de Scoville d’une échelle permettant de qualifier la nature du séisme auquel les papilles vont devoir faire face.
Les « Unités Scoville » correspondent à la dilution nécessaire pour ne plus ressentir le piquant de la variété considérée. Le procédé utilise du piment frais entier réduit en purée que l’on on dilue avec de l’eau jusqu’à ne plus ressentir la moindre brûlure. Il s’agit donc d’une approche plus empirique que véritablement scientifique, mais qui finalement suffit à établir un classement parfaitement suffisant pour les besoins de la cause.
Les « gentils » piments tel le paprika doux (ou poivre rouge) sont classés à hauteur de 100 à 500 unités Scoville, l’Espelette aux alentours de 1500 à 2500, le piment de Cayenne entre 30’000 et 50’000 unités et les variétés de habanero ou piment antillais entre 100’000 et 500’000 unités. L’éventail est donc aussi large que celui qui conviendrait à la ventilation de la brûlure correspondante.
On notera pour la petite histoire que la capsaïcine pure s’établit aux alentours de 15 à 16 millions d’Unités Scoville, soit 100 fois plus qu’un habanero, parmi les plus explosifs que l’on trouve en Europe. Le record est détenu par leTrinidad Moruga Scorpion, le plus fort du monde répertorié à ce jour (2 millions sur l’échelle de Scoville).
Indépendamment de tout penchant résolument masochiste, les piments sont de plus en plus appréciés, aussi bien pour l’arome qu’ils confèrent aux plats que pour leur effet torride sur nos papilles. Les aventuriers du plaisir organoleptique n’ont qu’à faire (prudemment) l’expérience de la cuisine thaïlandaise traditionnelle pour s’en convaincre et découvrir des sensations associant l’émoi sudatoire librement consenti au plaisir gourmand.
Avant de se lancer dans l’aventure, mieux vaut savoir que boire de l’eau pour atténuer la brûlure d’un piment est une entreprise aussi vaine qu’illusoire, la capsaïcine étant résolument hydrophobe. En revanche, comme elle se dissout dans les corps gras (liposoluble), la caséine du lait neutralise efficacement son action sur les récepteurs de la douleur.
Au-delà de son vaste potentiel de plaisirs gourmands, le piment possède diverses cordes à sa harpe qui méritent une oreille pareillement attentive.
Il permet notamment de préparer un insecticide très puissant pour les plantes d’ornement et le potager. Il suffit de piler finement 300 g de piment le plus fort possible (6 poignées de piment frais ou 3 de piment sec), puis de le mélanger à deux litres d’eau. Une fois homogène, la solution est filtrée et additionnée d’un peu d’eau savonneuse (pour qu’elle se fixe sur les feuilles). On obtient ainsi un concentré qu’il convient de répandre immédiatement sur la plante à traiter à l’aide d’un pulvérisateur ou d’un arrosoir à main. De l’avis des spécialistes, il s’agit-là d’un puissant insecticide naturel qui détruit en un délai très court tous les parasites connus.
Sur le plan de ses bienfaits pour la santé, la communauté scientifique s’intéresse de plus en plus à ses propriétés et de nombreux travaux prometteurs sont en cours.
Le piment est un fruit riche en vitamine A, B, C et en sels minéraux. Il est antibactérien, antiseptique, diurétique et digestif (activation des sucs gastriques et prévention de la formation de gaz dans les intestins). De nombreux témoignages attestent qu’ilest également excellent pour soigner grippe et rhumes. Il aiderait de même à réduire le cholestérol et à prévenir les maladies cardio-vasculaires.
Vous en conviendrez, le piment constitue un véritable cadeau de Dame Nature qu’il serait regrettable de laisser sans autre forme de procès glisser bêtement sur les plumes de son indifférence !
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